Le Colombioù

La Légende du Colombioù

Bonjour,
Je suis le Hérisson, j’habite le Parc du Château.
Peut-être m’avez-vous déjà aperçu le long de ces haies où j’aime me promener discrètement ? Je voudrais vous raconter une histoire dont les plus grands arbres ici se souviennent encore.

Il y a très longtemps, un moine nommé Désidérius avait été envoyé dans notre village par le Diocèse de Narbonne pour y acheter le vin de Grès du pays. Il devait, par la suite, le convoyer à la cour du roi des Francs. En effet, ce doux nectar avait acquis une belle renommée le long de la Via Domitia !
Désidérius séjournait avec d’autres moines dans le château des évêques, à côté du Parc.
Alors qu’il chargeait sa charrette et apprêtait son âne pour le voyage vers la capitale, Colombe se posa sur sa tête et lui murmura à l’oreille tous les pièges qu’il lui faudrait éviter en chemin ainsi qu’à la cour du roi. Fort de ce précieux renseignement, il se mit en route.

Comme Désidérius s’éloignait, Colombe alla se poser sur une branche du gros cèdre dans le Parc du château.
Taureau, qui était couché à son pied, protesta :
- « Ça, c’est mon arbre ! »
« Acò, es mon arbre ! »
- « Je peux m’y poser »
« M'i pòdi pausar » objecta Colombe.
Moqueur, Taureau surenchérit :
- « Tu es toute petite, sais-tu meugler ? »
« Sies tota pichona, çò sabes beuglar ? »
- « Et toi, tu es très gros ! Sais-tu voler ? » objecta Colombe.
« E tu, sies plan gròs, çò sabes volar ? »

Quelques semaines plus tard, au milieu de la nuit, Colombe fût réveillée par des craquements et une odeur âcre. Du haut de son arbre, elle vit que le feu ravageait les bois alentour.
Elle alla vite trouver Taureau qui dormait près de la rivière.
- « Taureau, Taureau, il y a le feu ! Vite ! Tout va brûler ! »
« Biòu, biòu, i a lo fuòc ! Lèu ! Tot va cremar ! »
Taureau se leva d’un bond :
- « Va prévenir les villageois, je m’occupe du reste ! »
« Va prevenir los vilatgeses ! Que m'ocupi de la rèsta ! »

Taureau prévint la Vigne :
- « Toi qui arrêtes le feu, déplace-toi et fais obstacle à son avancée ! »
« Tu qui arrèstas lo fuòc ! Vien ! Desplaça tu que fas empecha a son avançada »
Puis, il réveilla les Rivières :
« Valentibus, Bérange, Courbessac, Valinière, sortez de vos lits et arrêtez le monstre ! »
« Valentibus, Bérantge, Courbessac, Valinière, Sòrt deu ton lièch ! Arrèsta lo mostre »

Pendant ce temps, Colombe vola d’un trait et alla cogner du bec à tous les volets.
Les villageois se rassemblèrent au centre du village, dans le Parc.
C’est alors qu’une tornade soudaine et violente transporta des braises depuis la forêt jusque sur le toit du château qui commença à s’enflammer.

Colombe vit arriver au loin Désidérius qui revenait tout juste de son périple. Elle vola du plus fort qu’elle put à sa rencontre, pour le prévenir.

Aussitôt alerté, il eut l’idée d’aller remplir ses tonneaux vides à la rivière et arriva au galop devant le Parc où il vit les villageois immobiles, comme tétanisés par le feu qui menaçait de brûler tout le village !
Il faut dire, qu’en ce temps-là, les villageois avaient très peur du Diable, ils le voyaient partout. A tel point qu’on les avait surnommés LES ESPAURITS (les peureux) dans toute la région !
Et là, ils considéraient ce feu comme l’un de ses méfaits et se sentaient impuissants face à lui.

Cependant, en voyant Désidérius venir à leur rescousse, ils se ressaisirent et unirent leurs efforts :
- Les hommes aidèrent Désidérius à rouler les tonneaux remplis d’eau vers le château,
- Les femmes allèrent chercher des seaux pour les remplir dans le grand Puits du Parc, et avec les enfants firent une chaîne pour les vider sur l’incendie,
- Taureau piétinait les flammèches,
- Colombe, de sa hauteur, indiquait aux villageois l’endroit où le feu menaçait de s’échapper.
Après quelques heures de lutte, le feu fut éteint, les maisons et l’essentiel de la forêt préservés.
Devant leur succès, tous se congratulèrent ! Taureau sautait de joie et Colombe voletait au-dessus de leurs têtes.

En constatant que le château avait été  grandement détruit, Désidérius ne put retenir ses larmes.
Alors, l’élan de solidarité se poursuivit :
- « Ne pleure plus ! Nous allons tous reconstruire le château ! »
« Plores pas mai, anam totes tornar bastir lo castel »
En effet, quelques mois plus tard, le château fut restauré et les moines purent s’y réinstaller.

Si l’épisode fut bien tragique, il avait surtout été bénéfique : chacun avait compris ce jour-là qu’il n’y avait plus de raison d’avoir peur, dès lors qu’il seraient unis.
En mémoire de cet événement, ils érigèrent une sculpture représentant Taureau avec Colombe sur son dos portant une grappe de raisin dans son bec et la placèrent au pied du cèdre.
Là où auparavant ils s’étaient querellés.

Le soir même, un orage éclata, un gigantesque éclair s’abattit avec fracas sur le cèdre.
Sur son écorce, toutes sortes d’excroissances apparurent évoquant la folle nuit de combat contre l’incendie.
La chaleur de la foudre fit fondre les deux statues en une seule qui devint un taureau-colombe ou une colombe-taureau, ornée d’une belle grappe de raisin !

C’est ainsi que naquit le Totem que les villageois baptisèrent : Le Colombiòu de Drazéli.
Ils nommèrent leur village Saint- Désidérius (devenu Saint-Drézéry aujourd’hui), en hommage au moine qui leur avait montré le sens de la communauté.
Mon histoire est terminée et, si moi, le Hérisson du Parc, je peux vous la raconter, c’est que Désidérius avait pris soin de la noter sur un beau parchemin. Il le roula, l’enferma dans un étui en étain et le cacha dans un des murs du château.
Le temps passa jusqu’à ce jour de l’an 2023, où un ouvrier, qui restaurait le château, le trouva par hasard. Il s’empressa de remettre le parchemin à Madame le Maire.
Je le sais, car, ce jour-là, j’étais là, discrètement abrité du soleil dans un recoin du chantier !

*Saint-Drézéry en patois

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